+69% en 5 ans : l'inquiétante augmentation de la confidentialité des comptes sociaux des entreprises en France

Pour l'année fiscale 2021, près de 7 comptes sociaux sur 10 déposés étaient sous la confidentialité. Soit environ 1,02 millions d'entreprises dont nous ne pourrons pas connaitre la santé financière en détails. Une augmentation fulgurante de +69% sur une période de seulement 5 ans.

Publié par Tristan Méneret

Depuis le 7 août 2016 les TPE et PME peuvent demander la confidentialité de leur compte de résultat directement sur le site Infogreffe (sous réserve de respecter plusieurs critères).


Bonne ou mauvaise idée ?

La confidentialité des comptes de résultats permet de protéger des informations stratégiques sur l'évolution d'une entreprise mais permet aussi d'en dissimuler aux yeux de tous. Une telle augmentation a des conséquences importantes sur la transparence financière des entreprises en France.


En effet, disposer du compte de résultats d'une entreprise permet en un coup d'oeil de mesurer sa dynamique économique, sociale et fiscale. La confidentialité implique aussi de masquer des informations importantes disponibles dans le corpus du compte social comme des faits importants intervenus durant l'année fiscale, des indicateurs extra-financiers ou bien la nationalité de la maison mère.

Part des comptes confidentiels dans le dépôt descomptes sociaux des entreprises commerciales en France depuis 2016


Une tendance qui s'accélère

Malgré une augmentation significative des dépôts de comptes sociaux entre 2016 et 2021 (+16%) la confidentialité ne cesse d'augmenter (+69%). Par projection linéaire (diagramme ci-dessous), si la tendance se confirme d'ici 10 ans, 100% des comptes sociaux (hors obligation de publication) seraient confidentiels.


Cette augmentation pourrait avoir plusieurs explications liées à deux directives européennes, la directive (UE) 2016/943 définissant le secret des affaires ainsi que la directive (UE) 2016/679 définissant le règlement général sur la protection des données plus couramment appelé RGPD. Ces deux directives permettent aux entreprises de faciliter l'accès à la confidentialité de leurs informations financières.

Projection linéaire de la confidentialité des comptes sociaux en France


Secret des affaires et perte de visibilité sur les marchés

Cette directive permet aux entreprises de protéger des savoir-faire et des informations commerciales dans le but de ne pas trahir un secret pouvant mettre en péril leur activité économique. Ici, dès 2016, une entreprise pouvait donc accéder à la confidentialité de son compte de résultat afin de ne pas révéler son volume d'affaires, d'achats de matières premières ou bien sa masse salariale.


Cependant quand les professionnels et le grand public perdent une visibilité sur 1,02 millions d'entreprises en seulement 4 ans, c'est autant d'informations dont ils ne disposent plus pour se faire une idée d'un secteur d'activité ou d'une zone géographique (villes, collectivités...) lors d'une étude de marché par exemple.


Une case à cocher à la base d'une accélération de la confidentialité des comptes ?

Avant mai 2019 les entreprises voulant déposer leurs comptes sur le site Infogreffe devaient cocher l'option « Accompagner le dépôt d'une déclaration de confidentialité ». Après cette date, les entreprises doivent sélectionner si elle souhaite rendre disponible leurs comptes sociaux. Une différence significative liée à une interprétation du règlement général sur la protection des données (RGPD) qui introduit un biais cognitif important dans la perception de la confidentialité d'un compte (qui est maintenant présentée comme acquise de base).


L'Open Data Act (EU) 2013/37 entre en vigueur en septembre 2023 dans l'ensemble des pays membres de l'Union Européenne. Cette directive devrait imposer à chacun des pays membres plus de transparence sur des thématiques santé, économie, écologie et mobilité. Il est cependant difficile d'imaginer que cette directive permette d'outre passer les textes sur le secret des affaires ou bien des interprétations de la RGPD. Ces données sont pourtant plus que jamais nécessaires pour se faire une opinion fiable du marché qui nous entoure, en particulier en temps de crise.

Limiter la confidentialité des comptes sociaux pourrait-il servir un intérêt européen et national de souveraineté ?