Pour que les agriculteurs cessent d’être de « parfaits inconnus »

Gabrielle Halpern, philosophe

OPINION. La philosophe Gabrielle Halpern déplore la méconnaissance du travail de la terre, l'instrumentalisation des enjeux agricoles et la réduction du sujet à sa catégorie statistique. Or, le lien qui unit la société et les gens qui la nourrissent dépasse toutes ces dimensions. Affaibli, il doit être renouvelé.

Publié le 27-01-2024 par Gabrielle Halpern, philosophe

« Il est tout de même bizarre que ces hommes qui se sont donné du mal pour fabriquer la nourriture que tu manges, les vêtements que tu portes ou la maison que tu habites, toutes ces choses essentielles pour ta vie, soient tous de parfaits inconnus », écrivait l'auteur japonais Genzaburô Yoshino dans le livre Et vous, comment vivrez-vous ?, publié en 1937. Depuis cette année, la situation s'est-elle vraiment améliorée ? Il semblerait au contraire que ce contact perdu dans la chaîne de valeur perdure et que les blocages actuels des agriculteurs en colère en soient l'un des tristes symptômes.

En réalité, la crise que nous traversons n'est pas seulement économique, financière, sociale, écologique, institutionnelle, territoriale ou politique ; ce que nous vivons, c'est avant tout une crise de notre rapport à la réalité, comme si les liens avaient été rompus entre la nature et la société, entre les agriculteurs et les consommateurs. Combien d'enfants pensent-ils que les carottes râpées poussent dans les placards ? Il suffit de se rendre au Salon de l'agriculture pour le constater chaque année : si ce salon annuel n'existait pas, beaucoup de gens n'auraient pas vu une vraie vache de leur vie. « Comment donner un sens à sa vie si on ne prête pas attention à son alimentation ? C'est le départ de tout », pour reprendre les mots de Guillaume Gomez, ambassadeur de France pour la gastronomie, l'alimentation et les arts culinaires (1).

Le marketing politique autour du « pouvoir d'achat » a

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